VENDREDI 23 AOÛT 2019
Parfois, un artiste fait ce qu’il veut. Dans l’histoire de la musique, cela donne des albums solo venant après une vie de groupe, des échappées acoustiques, des expériences autarciques, des moments d’apesanteur. Chez Christine Salem, c’est Larg pa lo kor.
« J’avais envie d’aller au bout de mes envies », avoue-t-elle avec une limpide sincérité. Cette envie de ses envies, c’était par exemple de composer à la guitare ou au piano, d’aller vers le blues, la chanson, la parole, la mélodie, l’harmonie. De laisser derrière elle toute habitude, tout devoir, toute obligation.
Pourtant, elle est une des voix les plus reconnues du maloya de la Réunion, une musicienne qui souligne avec une vigueur saisissante les racines malgaches ou comoriennes de sa culture. Et, pour son sixième album, elle a voulu travailler autrement. « Je n’ai pas de « vraie » formation musicale, je ne sais pas lire la musique, je joue d’oreille. Et, quand on reste dans la tradition, on respecte instinctivement un certain nombre de choses. Alors, quand mes musiciens – qui connaissent beaucoup mieux la musique que moi – me disaient « d’habitude, on ne joue pas ça comme ça », je leur disais : « Non, on ne retourne pas là-bas, on reste ici ! »
Cet « ici » tout neuf de Christine Salem est une musique à la fois enracinée et libre, aussi intérieure que généreuse, résolument ouverte et sereinement idiosyncrasique.
Larg pa lo kor porte dans son histoire les traces de beaucoup de rencontres de Christine Salem. Déjà, son histoire d’amitié et de musique avec Moriarty. Elle avait connu Thomas, l’harmoniciste du groupe américano-parisien, lorsqu’il avait été régisseur d’une tournée de Salem Tradition, alors dans ses premières années. Le lien s’est maintenu, qui a amené Moriarty à la Réunion et à des collaborations variées – et maintenant Rosemary Standley qui vint poser sa voix sur plusieurs titres.
C’est d’ailleurs par Moriarty que Christine a rencontré Seb Martel, musicien d’exception aux horizons immenses. Il a été guitariste de M, Camille, Salif Keita, Bumcello, Femi Kuti, General Elektriks, Las Ondas Marteles, et son carnet d’adresses s’étend de la variété à maintes avant-gardes. « Il est immédiatement rentré dans le maloya », note Christine, qui a trouvé en lui un compagnon d’aventure complet : Seb joue de la guitare, de la basse et réalise l’album.
La greffe Martel prend aussi très facilement avec les deux percussionnistes qui travaillent habituellement avec Christine, David Abrousse et Harry Perigone. Et, dès le départ, les amarres sont larguées. Par exemple, Christine n’explique pas les rythmes qu’elle souhaite entendre sur ses compositions en jouant du kayamb, mais au piano. « Ça a surpris David et Harry, mais ça les a aussi libérés. »
Ayant décidé de se consacrer uniquement à la musique, Christine Salem a abandonné son travail salarié d’accompagnement social en 2012. Désormais, la musique ne doit pas se faufiler entre vacances et congés sans soldes, et elle poursuit plus sereinement le chemin amorcé très tôt – désir de musique à huit ans, première guitare à treize ans, apprise avec les musiciens du voisinage. Aujourd’hui, elle constate qu’elle joue « un peu de tous les instruments, d’instinct » mais, pour la première fois, pose sa guitare sur tout un album et se prépare à le faire sur scène.